En 2011 un mouvement de contestation sans précédent jaillit dans le monde Arabo-musulman que l’on nommera rapidement « Les printemps Arabes ». Certaines monarchies ou républiques autoritaires sont mises à mal, voire renversées comme c’est le cas en Libye avec la chute du dictateur Kadafi.
Djibouti :
La cour des grands ...
Publié le 20/04/2020
Djibouti. Une ancienne petite colonie française devenue un "Etat garnison" se retrouve, par la force des choses, au centre de la géopolitique mondiale.

Carte sur fond photographique satellitaire du détroit de Bad-el-Mandeb entre Djibouti et le Sud du Yémen
Ce petit territoire coincé entre Afrique et Moyen-Orient était le territoire des peuples Afar et Issa. Car Djibouti c'est avant tout le golfe de Tajourah, avec les Afars occupant la moitié Nord avec Obock comme principale ville portuaire, et les Issas au Sud avec Djibouti comme principale ville, portuaire également.

issu de : Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, XIII° Série. Tome 4 fascicule 2, 1977.
le 1er août 1884, Léonce Lagarde est nommé par la France « commandant » à Obock. Rapidement, il étend le territoire sous souveraineté française, signant un protectorat avec le sultan de Tadjourah , et occupe toute la côte nord du golfe de Tadjourah. L'emprise française s'étend sur la côte sud, lors de la signature d'un traité avec les « chefs somalis issas » le 26 mars 1885, formant le « protectorat d'Obock et dépendances ».
En 1888, les Anglais et les Français fixent la frontière de leurs nouvelles colonies à l'Est de la ville de Loyada. et ouvrent aux négociants des deux pays les routes commerciales vers Harar en Ethiopie.

Carte de localisation de Loyada et Hanrar ainsi que des colonies française et britannique
C'est alors que commence le transfert du centre de gravité du territoire du nord (Obock) au sud (Djibouti), achevé en 1896 lorsque cette dernière ville devient le chef-lieu du territoire, qui prend alors le nom de Côte française des Somalis (CFS).
Vers l'intérieur, le territoire s'étend avec la construction du chemin de fer vers l'Éthiopie : Addis-Abeba, le terminus, est atteint en 1917.

tracé de la voie ferrée entre Djibouti et Addis-Abeba
Le port de Djibouti se développe ensuite au rythme du commerce avec l'Éthiopie et des besoins de la navigation coloniale. L'invasion puis l'occupation de l'Éthiopie par l'Italie entraîne un bref boom économique à Djibouti, avec un très important accroissement du trafic du port et des liaisons vers Addis-Abeba entre 1936 et 1938.
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Pendant la seconde guerre mondiale Djibouti demeurera Vichyste jusqu’en fin 1942 malgré tous les efforts des britanniques et le blocus qu’ils imposèrent.
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Ce n’est que le 30 décembre 1942, que le gouverneur André Bayardelle, nommé par le général de Gaulle, prit ses fonctions.
La colonie devient un territoire d'outre-mer (TOM) français en 1958.
Le territoire connaît pourtant des velléités d’indépendance et une certaine agitation notamment lors du passage du Général De Gaulle en août 1966.
Le 14 septembre 1966, les autorités coloniales mettent en place le « barrage de Djibouti », enceinte militarisée tout autour de la ville, dont la mission est de restreindre les migrations et de permettre le contrôle politique du territoire. Cet ouvrage n'est démantelé que quelques années après l'indépendance.

Photo du barrage de Djibouti entourant la ville. Jean-marc RUBIO ©
En 1967, le territoire change de nom pour devenir le Territoire français des Afars et des Issas (TFAI).
Pourtant la mise en place concomitante d'une politique de contrôle de la population de la ville de Djibouti, et d'expulsions massives des « indésirables » à partir de 1960 (10 000 entre 1947 et 1962, 10 000 entre 1963 et 1968, encore plus sans doute ensuite) n'empêche pas l'accroissement de la population. Les tensions politiques et sociales s'accroissent également, que la répression ne parvient pas à endiguer. Plusieurs mouvements indépendantistes sont créés dans les pays limitrophes, en particulier en Éthiopie et Somalie qui veulent récupérer le territoire.

Photo du barrage de Djibouti en 1973

poste de surveillance en 1977. Photo de Jean-Marc RUBIO ©
En 1975, après une résolution de l'ONU, la France reconnaît le droit à l'indépendance du territoire. Dans la perspective de l’organisation d’un référendum d’autodétermination, le ministère des armées prépare, dans le plus grand secret, dès 1976, un déploiement naval, apparu également inéluctable pour le maintien de la paix et de la sécurité dans la région.
En effet, de nombreuses revendications montent dans le pays pour un départ de l'armée Française de ce territoire. Un point critique sera atteint avec l’attaque et la prise d'otages d'un bus d'enfants par le "Front de libération des Somalies". Mouvement qui voulait soit l'indépendance, soit servait de pion pour l'état Somalien voisin convoitant le territoire de Djibouti (à ce jour les informations sur les raisons de la prise d'otage sont contradictoires).

Premiers faits d’armes du GIGN sous l’autorité du Lt PROUTEAU (aujourd'hui préfet) où la technique du tir simultané permet d’éliminer les preneurs d’otages au même instant. Toutefois un ravisseur dissimulé ouvrira le feu sur le car. Un enfant est tué et une fillette succombera de ses blessures. C’est la 2ème compagnie du 2ème REP qui mènera l’assaut.

Commandant Prouteau, GIGN (Gendarmerie)
Film " L' Intervention " actuellement sur Canal + sur cette prise d'otages
Après un référendum le 8 mai 1977 (98,8 % de « oui »), le territoire devient indépendant le 27 juin 1977 sous le nom de république de Djibouti alors que la flotte française, lors de l'opération Saphir, va jusqu’à déployer 17 bâtiments sur zone dont ses porte-avions, le Clemenceau relevé par le Foch, soit la plus importante flotte déployée par la France, dans cette région, depuis la deuxième guerre mondiale.
La place de Djibouti va devenir la plus importante présence militaire hors métropole avec plus de 1900 hommes.
Le déploiement militaire de la France va s'intensifier afin de garantir la présence et le contrôle du détroit de Bad-el-Mandeb d'une part pour la sécurisation du flux commercial mondial et d'autre part pour garder la main sur le développement de l'Afrique de l'Est.
La 13e DBLE (Demi Brigade de Légion Étrangère) embarque, à la fin de la guerre d’Algérie en avril 1962, à destination de la Côte française des Somalis. Les compagnies débarquent les unes après les autres sur leur nouveau lieu de séjour. N’ayant jamais connu la paix durant ses vingt-deux premières années d’existence, la « 13 » va enfin pouvoir justifier la réputation de bâtisseur dont jouissent les unités de la Légion étrangère.
Elle construit ou améliore des postes déjà existants tout en quadrillant le terrain.

Poste de la 13ème DBLE à Dikhil. 1976. Photo de Jean-marc RUBIO ©
En revanche la présence de l'armée nationale djiboutienne n'est que rare sur les différents postes de contrôle car elle est quasi inexistante et largement sous équipée.

Poste de Khaba-Khaba tenue par l'armé nationale de Djibouti (militaires sur l'image) en 1977. Photo de Jean-marc RUBIO ©
Djibouti devient alors pour la Légion et les différentes compagnies militaires de l'armée française, le terrain d'entrainement au désert. En effet, Djibouti étant principalement désertique, la France profite de sa présence accrue pour familiariser les militaires à ce milieu. D'autant plus que c’est sous la présidence de Valérie Giscard d’Estaing que l'armée française interviendra régulièrement en Afrique et que s’opère l’Indépendance à Djibouti. Une présidence qui n’a jamais tergiversé quant à son engagement en théâtres extérieurs pendant ce septennat (1974 / 1981) :
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Opérations Saphir I et II (1974-1977) à Djibouti
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Opération Lamantin (1977-1978) en Mauritanie
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Opération Tacaud (1978-1980) au Tchad
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Opération Bonite (1978) au Zaïre
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Opération à Nouadhibou (1979-1980) en Mauritanie
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Opération Barracuda (1979-1981) en Centrafrique
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Opération Saintonge (1980) aux Nouvelles-Hébrides
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Opération Scorpion (1980) en Tunisie
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Opération Cyprin (1981) en Centrafrique
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EFAO (depuis 1982) en Centrafrique
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Opération Olifant (1981-), Marine nationale au Liban
Cette omniprésence militaire se manifeste surtout à l'aéroport de Djibouti ou s'est installé la base militaire Française 188.

Base Aérienne Française 188 en 1977.
Deux hélicoptères PUMAS et un avion militaire de parachutistes Noratlas.
Photo de Jean-marc RUBIO ©
Aujourd'hui la présence française à Djibouti c'est :
Sept mirages 2000 y sont opérationnels ainsi qu’un détachement de l’aviation légère de l’armée de terre (DETALAT).
Pour l’armée de l’Air :
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Escadron de chasse 3/11 Corse8 avec 4 Mirage 2000-5F et 3 Mirage 2000 D
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Escadron de transport d'outre-mer 88 Larzac volant sur un C-160 Transal jusqu'en juillet 2019 et depuis sur un CASA CN-235 et trois SA330 Puma
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Par ailleurs, un détachement de l'aéronautique navale (Bréguet Atlantic, puis Bréguet Atlantique 2) y stationne en permanence.
Enfin le détachement de l’Aviation légère de l'Armée de terre (DETALAT) avec 70 militaires, il est équipé fin 2014 de quatre hélicoptères Puma et deux Gazelle-Hot.
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C’est aussi le 5ème RIAOM (régiment interarmes d’outre-mer) dont la base permanente accueille différentes unités de l’armée de terre qui viennent s’y aguerrir en terrain difficile (désert). Mais c’est également une force de projection vers les théâtres d’opérations extérieures dans le moyen orient, l’Afrique de l’est et l’Afrique équatoriale.
Cette implantation militaire, terrain d’entrainement des unités d’élites françaises, va protéger la jeune République alors que la corne de l’Afrique s’écroule.
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En effet l’Ethiopie qui avait annexé l’Erythrée en 1961 pour se doter d’une façade maritime au nord est sur la Mer Rouge n’a pu résister aux rébellions et à l'indépendance en mai 1993. En perdant l’Erythrée elle redevient un pays enclavé entièrement dépendant du port de Djibouti. Quant au sud est, la Somalie, complètement disloquée par la guerre civile, ne peut lui offrir de débouchés sur sa façade maritime, devenue le terrain de jeu des contrebandiers, des pirates et des islamistes.
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C’est donc avec une économie de ville garnison et un port qui se développe, que la ville Etat va intéresser les puissants de ce monde
En 2001, après les attentats du 11 septembre les Etats Unis implantent une base aérienne sur l’aéroport de Djibouti. Leur seule base en Afrique.
Les japonais en 2010 s’installent à Djibouti et deviennent la troisième puissance étrangère sur le territoire…allemands et espagnols sans détachement permanent demeurent très présents. Les italiens y ont également une base.
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Les marines russes, chinoises, indiennes et iraniennes utilisent aussi les facilités portuaires. En 2017 la Chine obtient de pouvoir y implanter une base militaire. Cette annonce a d’ailleurs suscité des inquiétudes de la part des partenaires occidentaux de Djibouti, surtout les États-Unis.
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Mais c’est à l’Etat que reviennent toutes ces redevances et locations, la ville n'en profitant pas directement. Elle devra trouver d'autre partenariat.

Localisation des bases des différentes armées présentes (en permanence) à Djibouti.
Pour mieux comprendre sur la volonté des états d'entrer "dans la cour des grands" en ayant une base à Djibouti il faut connaître les principaux flux maritimes mondiaux (en rouge sur la figure ci-dessous). On voit que les principales liaisons entre Asie et Europe ainsi qu'Amérique de l'Ouest et Europe passent par le Détroit de Bad el-Mandeb. Or la région du détroit est très instable avec notamment de nombreux actes de piraterie Somalienne. Sauf Djibouti, qui, par son histoire avec la France, demeure complètement stable car aucune perturbation ou émeute n'est possible dans cette état "base militaire". Rappelons que le transport maritime représente 90% des biens échangés mais il y a aussi, dans un contexte plus actuel, l'enjeu de la sécurisation des câbles sous-marins de télécommunications, c'est à dire tout simplement, le réseau internet mondial.

Détroit de
Bad el-Mandeb
Carte des flux mondiaux du commerce par voies maritimes

Carte extraite du magasine "Carto" n°52 de 2019 - Areion/Capri
Djibouti et Dubaï (Emirats Arabes Unis) concluent un accord de coopération. La principale clause de cet accord de partenariat étant la prise de contrôle (sous forme de concession) du port international de Djibouti, par Dubaï Port World (DPW), pour 20 ans.
Les investissements de Dubaï ont attiré d’autres investisseurs. En 2012 les chinois de HongKong investissent dans les installations portuaires.
C’est avant tout la stabilité du territoire qui est déterminant dans l’attirance des puissances étrangères sur le plan économique, alors que l’Ethiopie absorbe 80 % du trafic du port djiboutien.
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Cette place portuaire dans la région était tenue par Aden, la rivale Yéménite. Mais le Yémen en guerre, entre Houthis et Saoudiens, pointe aux désastres humanitaires. De plus, après la piraterie Somalienne, le Yemen aussi voit émerger des "gangs" de pirates.
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Marine Française au large de la Somalie intercepte des pirates somaliens équipés de fusils d'assauts type AK-47 et de lance roquettes type RPG. ils auraient volé des barils de pétrole que transportent les Tanckers. On voit également le type d'échelle que les pirates utilisent pour monter à l'assaut des énormes bateaux cargos
La ville est donc aujourd’hui en passe de devenir le point de jonction des intérêts des grandes puissances. Néanmoins, cette concentration de puissances étrangères n'est pas sans risques pour la ville.
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Devenue la base de lutte contre les islamistes de la région, comme les Shebabs somaliens, Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) qui se fait appeler Ansar al-Charia, elle est aussi la cible de ces mêmes islamistes. L’attentat du 24 mai 2014, qui visait un restaurant fréquenté par les Occidentaux et qui a fait trois morts et une vingtaine de blessés occidentaux, a mis en évidence ce nouveau risque encouru par la ville.
Toutefois, même si le pays est corrompu et que les dirigeants ne brillent pas pour leurs capacités à mener ce développement, la stabilité et la sécurité qu’apportent les puissances étrangères laisse entrevoir une croissance soutenue (près de 5 % par an dans la dernière décennie).
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De grands progrès restent à faire notamment dans le domaine du transport aérien (les compagnies djiboutiennes n’ont pas de certificat pour desservir l’Europe).
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Elle a également un défi de taille ; celui de maîtriser sa démographie. Djibouti ville compte près de 475 000 habitants pour une population du territoire avoisinant le million. Le passé a démontré que les barrages ne suffisaient pas pour endiguer les afflux de réfugiés car la ville portuaire demeure la seule lumière qui brille dans cette nuit désertique de l’Afrique orientale.
Cet article a été co-écrit avec Jean-Marc RUBIO, déployé une première fois à Djibouti d'octobre 1976 à février 1977 dans le camp de Gabode de la 13ème BDLE au sein de la 2ème section de la 2ème compagnie de combat du 2ème REP (Régiment Etranger de Parachutiste). Puis une seconde fois de septembre 1979 à janvier 1980 au sein de la Compagnie d'Appuie et d'Eclairage (CAE) du 2ème REP.