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Syrie :

Vers de nouvelles Frontières ?

mis en ligne le 07/04/2020

En 2011 un mouvement de contestation sans précédent jaillit dans le monde Arabo-musulman que l’on nommera rapidement « Les printemps Arabes ». Certaines monarchies ou républiques autoritaires sont mises à mal, voire renversées comme c’est le cas en Libye avec la chute du dictateur Kadafi.

En Syrie, c’est Bachar Al-Assad qui est critiqué. En effet, la Syrie fait partie des pays les plus corrompus du monde avec de fortes inégalités économiques.

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Par sa géographie tout d’abord car sa population se concentre principalement à l’Ouest du pays, avec un accès à la mer et au Liban. C’est donc une zone économiquement développée tandis que l’Est et le Nord du pays sont des zones plus arides, parfois désertiques mais surtout à l’opposé de la capitale Damas qui, comme souvent, concentre une grande partie des richesses. Mais ces inégalités économiques sont également dû à une grande diversité ethnique dans le pays. La Syrie est dirigée par la famille Assad depuis 1971 qui est de confession Alaouite, une branche du Chiisme. Le Chiisme est une des deux grandes branches de l’Islam. Elle s’oppose au Sunnisme. Le Chiisme est la branche de l’islam au pouvoir en Iran alors que le Sunnisme est au pouvoir en Arabie Saoudite.

C’est la principale raison de la guerre religieuse entre ces deux pays. Mais le Chiisme n’est pas majoritaire en Syrie, Il est même très minoritaire et se concentre principalement à Damas (capitale) et à Lattaquié (ville portuaire de l’Ouest) qui est la ville d'origine des Assad.

En Syrie, de manière très simplifiée, il y a également les Sunnites (Arabe) qui sont majoritaires dans le pays, les Assyriens qui sont les descendants des Mésopotamiens, les Kurdes qui sont présents en Turquie, Syrie, Irak, Iran et Arménie, les Turkmènes qui se sentent proche de la Turquie et d’autres communautés qui sont très minoritaires. On a donc une communauté minoritaire au pouvoir qui est, dans tous le Moyen-Orient, opposée à la religion majoritaire dans le pays ce qui crée des favoritismes économiques et politiques. De plus la famille Assad et particulièrement Bachar Al Assad est un dirigeant autoritaire qui ne permet aucune opposition ni contestation dans le pays.

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Corruption, favoritisme, inégalités économiques et territoriales, répression du clan Assad rend le terrain forcément fertile au mouvement de contestation des printemps Arabes. Mais, contrairement aux autres pays concernés par la contestation populaire, en Syrie le mouvement vire rapidement à la lutte armée par la formation de groupes rebelles comme l’Armée Syrienne Libre formé le 29 juillet 2011 qui vise à libérer la Syrie de l’oppression de Bachar.

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"Comme chaque vendredi depuis le début de la révolte en mars 2011, les Syriens ont manifesté hier contre le régime. Dans Alep, plusieurs groupes d’une centaine de personnes, dont des enfants, ont défilé dans les quartiers sud. « Nous voulons des armes, pas des déclarations », criaient les manifestants. "   Tauseef Mustafa/AFP le 06/10/2012

Les conflits armés éclatent alors un peu partout dans le pays et pousse l’Armée Syrienne (de Bachar) à se replier vers les grandes villes du pays laissant à l’abandon le Nord, les régions désertiques de tout le Centre et de l’Est ainsi que le Gouvernorat d’Idleb.

Ce qui s’est passé ensuite reste controversé mais on sait que des prisonniers Djihadistes d’Al-Qaïda et autres sont « sortis » des prisons du régime syrien et d’autres sont arrivés de Turquie pour profiter de cette révolte afin de prendre le pouvoir dans la région et de créer un état religieux islamique appliquant la doctrine de la Charia (volonté de Dieu) qui est une application radicale de l’Islam. La Charia étant une doctrine Sunnite, elle s’est vite répandue dans le pays (majoritairement sunnite et opposé à l’état chiite de Bachar) et une nouvelle entité à fait son apparition : Daech.

Le gouvernement de Bachar Al-Assad en a donc profité pour combattre, avec l’aide de la communauté internationale, cette insurrection Djihadiste, qui à l’origine était les printemps Arabes étudiants dans les grandes universités du pays demandant plus d’égalité et de démocratie.

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Bachar Al-Assad. 

La communauté Kurde quant à elle, principalement présente au Nord de la Syrie à la frontière avec la Turquie, s’est retrouvée sous le feu et l’occupation des islamistes de Daech, avec un véritable début de génocide.

Mais l’histoire des Kurdes en lien avec le Sud de la Turquie a permis à cette communauté de résister. En effet, depuis plus de 40 ans en Turquie le PKK (Partie des Travailleurs Kurdes) mène une guerre de guérilla contre le régime de Recep Tayyip Erdoğan, l’actuel président turc, afin de proclamer l’indépendance d’un Kurdistan (pays utopique Kurde).

Lorsque la guerre civile a éclaté en Syrie et face à la volonté d’extermination des kurdes syriens par Daech, le PKK a envoyé ses combattants pour sauver les kurdes. La victoire emblématique des kurdes de Syrie est la victoire de Kobané. Cette ville se retrouva isolée et encerclée par Daesh, mais les Kurdes ont résisté malgré de lourdes pertes. Ce fut la première grosse défaite de Daesh qui a marqué le début de la perte de territoire de l’Etat Islamique.

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Un sniper kurde de 25 ans marche dans les ruines de Kobané en Syrie le 30 janvier 2015

Crédit : BULENT KILIC / AFP

Aujourd’hui la Syrie est divisée en 5 factions :

  •   Le régime syrien de Bachar Al-Assad qui a réussi à reprendre plus de la moitié du territoire. Il est appuyé par l’Iran car Chiite et la Russie qui cherche de nouveaux alliés pour contrer l’influence internationale américaine depuis la chute de l’URSS.

 

  • Les Kurdes syriens  contrôlent les cantons de Cizre au Nord-Est, de Kobané au Nord et plus qu’une petite partie du canton d’Afrin au Nord-Nord-Ouest. Ces territoires ont été récupérés par les YPG bras armé du PKK en Syrie composé d’hommes et de femmes ainsi que par les YPJ même groupe armé mais uniquement féminin. Ils constituent les FDS (Forces Démocratiques Syriennes) et ont instauré une sorte d’administration autonome qu’ils nomment Rojava fondé le 21 janvier 2014 basé sur un contrat social paritaire, égalitaire et respectueux de tous. Ce territoire n’est donc pas composé uniquement de Kurdes mais se veut inclusif. Contrairement au territoire homologue d‘Irak contrôlé par les Peshmergas (premiers combattants kurdes hors Turquie) qui ont une volonté plus nationaliste de leur Kurdistan.

 

 

  • Les Groupes rebelles de plus en plus mêlés aux combattants Djihadistes restants mais aussi ce qui reste des Forces Syriennes Libres et qui sont toujours contre Bachar Al-Assad.

 

  • L’armée turque et territoire rebelle pro-turc sont dans la région d’Afrin (Nord-Nord-Ouest) et dans le reste du canton d’Afrin coupant l’extrémité Ouest du Rojava en deux. La Turquie qui combat depuis toujours le PKK et ces différentes branches ne veut surtout pas d’un "Kurdistan" syrien même sous la forme d’une administration constitutive de l’état syrien car la Turquie considère ce territoire (le Rojava) comme la base arrière du PKK turc. Par conséquent, Ankara ne pourrait jamais vraiment exterminer les revendications kurdes en territoire turc et ne pourrait donc pas contrôler la majeure partie de sa frontière avec la Syrie. C’est pourquoi Erdogan a conclu un accord avec les américains pour créer une « zone tampon » à la frontière Turco-Syrienne composée d’une bande de 30 km de large le long de la frontière en territoire Kurde.

 

  • Enfin, les dernières poches de l’Etat Islamique dans la région de Baghouz, du nord de Baghouz et Idlib.  

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Rojava

Idleb concentre actuellement toutes les inquiétudes. Cette province tenue par les rebelles a été, au début de la guerre civile, la « poubelle » du régime Bachar. En effet, ceux qui ont fui les répressions du régime lors du début de la révolte armée, les Forces Syriennes Libres et les Djihadistes se sont massés à Idleb depuis 2011.

 

Maintenant ce territoire est officiellement au main des rebelles et de tous les groupes armés n’ayant jamais cessé le combat contre Damas, notamment des groupes pro-turc, qui ont vraisemblablement des connivences avec les différents groupes Djihadistes restants. Cependant, le régime Assad veut reprendre l’intégralité de son territoire (en considèrant que le Rojava est un cas à part au sein de la Syrie d’Assad). Notamment la région d’Idleb traversée par le principal axe de circulation syrien, les autoroutes M4 et M5, qui relient Alep au Nord et Damas au Sud en passant par Homes. Or Erdogan s’y oppose car cette enclave pro-turque en Syrie lui permet d’étendre sa fameuse « zone tampon » sur la partie Ouest de la frontière turque.

 

En effet, Ankara s’inquiète de l’avancée de Damas, appuyée par Moscou sur la région d’Idleb car c’est la zone qui « protège » la côte très touristique d’Alexandrette en Turquie. De plus la Turquie aurait l’impression de perdre la guerre en se retirant complètement de Syrie alors que son engagement contre Daesh lui vaut une non-intervention de la coalition face à la guerre que mène la Turquie contre les Kurdes. Le PKK, les YPG et YPJ sont d’ailleurs sur la liste internationale des organisations terroristes à l’unique demande de la Turquie. Ce qui a pour conséquence un embargo contre le développement du Rojava qui pourtant semble être un idéal du « vivre ensemble » et le territoire le plus avancé du monde musulman en terme de droit des femmes et de parité représentative.

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Poste d'observation turc

Position des observatoires turcs autour du territoire d'Idleb 

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Autoroute M5

Mais Erdogan ne va pas pouvoir tenir tête longtemps à Damas car son armée ne fait pas le poids face à l’armée Syrienne et Russe. De plus elle veut se concentrer sur un autre front, celui du Kurdistan Syrien. Mais là encore, la Turquie qui n’arrivait déjà pas à combattre le PKK sur le territoire Turc a maintenant face à elle la FDS, composée aussi bien de Kurdes, d’Arabes, d’Assyriens, de Turkmènes, d’Arméniens que d’autres ethnies, avec une expérience de 9 ans de guerre contre l’Etat Islamique.  Comment pourrait-elle réussir ?  De plus, il ne faut pas oublier que l’armée turque a subi une sévère épuration depuis la tentative de putsch ratée contre Erdogan.

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Erdogan et Poutine trouve un accord sur Idleb (non tenu par la suite)

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Les YPJ devant la photo du leeder du mouvement kurde du PKK , Abdullah Ocalan , emprisonné depuis 1999 en Turquie

Alors la Syrie se destine-t-elle à connaître de nouvelles frontières ?

Pas sûr, car la Turquie semble ne pas faire le poids contre Damas et ses alliés. Elle va donc surement devoir se retirer de Syrie malgré ses menaces de « lâcher » vers l’Europe les quelques 3.5 Millions de réfugiés (dont les Djihadistes fuyards) car la menace est dirigée vers l’Europe alors que c’est la Russie qui a les clés en main. Le Rojava quant à lui s’il ne veut pas se confronter au Damas russe n’as plus qu’à dégager un « intérêt » pour garder son territoire. Mais deux problèmes vont rapidement se poser pour Damas à ce sujet. D’abord la question des ressources. Le Rojava possède la moitié des ressources en hydrocarbures exploitées de Syrie, ainsi qu’une grande partie des cultures arboricoles. De plus, si le Rojava réussi (comme il semble le faire) son administration autonome, respectueuse des genres, des cultes, des ethnies, et de démocratie représentative, cela peut créer un « eldorado » au sein de la Syrie et produire un exode massif vers le Rojava, ce qui serait intolérable pour Assad. Ce serait une sorte de soft-power Kurde qui pourrait conquérir rapidement toute la Syrie.

Mais n’oublions pas que la Russie n’aime pas se battre contre une guérilla qui connait le terrain. Son expérience malheureuse en Afghanistan (tout comme les américains qui ont laissé le pays aux Talibans). Elle fera donc tout pour éviter le conflit armé avec les FDS. D’autant plus que contre la Russie, les Américains et la coalition pourraient revenir. On ne sait toujours pas qui finance le PKK !

Le Rojava pourrait donc s’allier complétement aux Russes en mettant en avant leurs relations privilégiées avec les Kurdes Peshmerga qui contrôlent le nord de l’Irak afin de créer et sécuriser, par exemple, un gazoduc qui partirait du Nord-Ouest de l’Iran riche en hydrocarbures, en passant par le Nord de l’Irak également riche en hydrocarbures (aux mains des Peshmergas), le nord de la Syrie jusqu’en Méditerranée.  D’un point de vu russe relier la Mer Caspienne à la Méditerrané sans passer par la Turquie, qui n’est jamais complétement fiable, représente un intérêt indéniable. Cela pourrait également profiter à l’Iran et l’Irak, tous deux alliés de la Russie. De plus, pour l’armée Syrienne, renouer avec les Kurdes en leur laissant administrer le Rojava en échange d’appuis militaires serait une aubaine car une fois la Russie partie les revendications du printemps Arabe pourraient ressurgir.

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Potentiel gazoduc

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Répartition du peuple kurde au Moyen-Orient  (zone bleu) 

Légende :

Exploitations d'hydrocarbures (noté Hy) 

Ressources en Eau 

Une telle « réconciliation » profiterait à la fois à Damas, aux Kurdes, à l’Iran, à l’Irak, aux Russes et à ceux qui désirent plus de démocratie en Syrie (du moins au Rojava).

En conclusion, le grand gagnant de ces 9 ans de guerre est tout simplement Bachar Al-Assad qui, par ses multiples manœuvres politiques, a su se maintenir au pouvoir tout en éradiquant complétement toute revendication. Ou presque…

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